(DE NOTRE ENVOYE SPECIAL) Le crime de Tablat.— Reprise de l’instruction. — Transport de justice. — Quadruple arrestation Tablat,le14 janvier.Le drame sanglant de Tablat.remonte au 28 juillet 1905. En dehors des habitants de la région peu de personnes sans doute se rappellent dans quelles conditions ce crime demeuré impuni, comme plusieurs autres, hélas avait été accompli . Au moment où de faits motivent une reprise de l’instruction et viennent d’aboutir à une quadruple arrestation, il est utile de retracer les détails de cet assassinat. Le 28 juillet 1905, M. Paul Guichard, âgé de 33 ans, secrétaire de la commune mixte de Tablat, était retrouvé égorgé dans son domicile. Des amis inquiets de ne pas l’avoir vu, ni à son bureau, ni au café, étaient venus à sa demeure et avaient trouvé le malheureux gisant dans une mare de sang, le coup profondément sectionné, l’artère carotide tranchée. L’appartement en désordre, les tiroirs ouverts et leur contenu éparpillé semblaient démontrer que le vol avait été le mobile du crime. Aussitôt prévenu , M. Sipière, substitut du procureur, et M. Parroche, juge d’instruction, s’étaient transportés sur les lieux et commençaient, sans perdre de temps, leur enquête. Les premières constatations permirent de reconstituer à peu près comme suit, le drame : C’est entre 8 et.9.heures du soir.que M. Guichard avait été frappé, au moment où il était en train de prendre son repas. La victime se trouvait, comme d'habitude- détail que les meurtriers connaissaient bien - tourner le dos à une porte communiquant avec une pièce.servant de cuisine, laquelle ouvrait sur un bois d’eucalyptus. L’assassin avait passé par la cuisine, franchi le seuil de la salle à manger et, de là, d’un coup de hache ou de serpe,atteint le malheureux secrétaire atteint le malheureux secrétaire de commune mixte, qui tombait foudroyé. Les autres blessures relevées sur le cadavre ne semblaient avoir été faites qu’ensuite et dans le but de diriger sur une fausse piste les investigations de la justice,faisant croire à un crime indigène. M.Guichard, d’après ceux qui rapprochaient, était un misantrophe vivant presque seul, en vieux garçon rangé, allant de sa demeure à son bureau, un peu au café, mais ne fréquentant personne assidûment. On estime que M. Guichard avait chez lui environ sept mille francs, disparus après le crime, ainsi que des fusils. Tels étaient les premiers résultats de l’enquête. Les éléments qu’elle fournissait semblaient bien insuffisants et n’aidaient guère à la découverte du ou des coupables. Les investigations se poursuivirent néanmoins, quand, au mois d’octobre suivant, un agent de la sûreté découvrait, chez un nommé Hugon, journalier, d’assez mauvaise réputation, une serpe toute rouillée et qui semblait avoir été oxydée par des taches de sang. Le procureur de la République se rendait à nouveau à Tablat, accompagné de M. Parroche, juge d’instruction, et de M. Grimai, professeur à l’école de pharmacie. Sur l’ordre du procureur, on procédait aussitôt à l’exhumation du cadavre. Après l’exhumation du cadavre de M. Guichard et de la découverte de la serpette qu’on croyait avoir été l’instrument du crime, Paul Hugon était arrêté ainsi que trois indigènes : Aïssat Tahar, Chehat Mohammed, surnommé « le Coq » et Sali Kadour. De graves soupçons pesaient sur ces indigènes, qui avaient à Tablat une déplorable réputation. Cela se passait fin octobre.1905. Longuement interrogés, les inculpés nièrent énergiquement toute participation au crime. Plusieurs mois se passèrent et le juge d’instruction rendait une ordonnance de mise en liberté provisoire, non parce que l’innocence des inculpés était clairement démontrée, mais bien dans l’espoir qu’une fois en liberté on obtiendrait davantage pour arriver à la découverte de la vérité. Cette façon d’agir devait, comme on le verra par la suite, avoir d’heureux résultats. Les quatre co- inculpés regagnèrent donc Tablat. où, ainsi que dans toute la région, cet odieux crime, succédant à tant d’autres demeurés impunis et dont les coupables ne furent jamais découverts, avait produit une douloureuse impression. On put croire à ce moment que l’affaire était définitivement classée. Mais, au mois d’octobre dernier, un fait nouveau et tout à fait imprévu venait remettre M. Bûcher, administrateur de la commune mixte de Tablat, sur la piste, la même qui, quoique n’ayant pas donné de résultats probants, n’avait v pas été abandonnée. A cette date, en effet, un vol avait été commis chez le secrétaire de la commune mixte de Tablat, un des successeurs du malheureux Guichard. Au cours de l’instruction dirigée habilement par l’administrateur, ce dernier reçut les confidences d’un des inculpés qui, sans doute pour s’attirer l’indulgence de ce fonctionnaire ou pour exercer une vengeance contre ses coreligionnaires, raconta la scène de l’assassinat de M. Guichard et dénonça les coupables. Les détails étaient si précis, si formels que l'administrateur, après avoir mené une longue enquête sur place et s’être entouré de tous les renseignements, prévenait le parquet et M. Parroche, juge d’instruction, délivrait, le 20 décembre 1906, un mandat de dépôt pour les trois indigènes désignés par le dénonciateur, c’etaient les trois indigènes emprisonnés pendant de longs mois, puis relâchés. On procéda aussitôt à leur arrestation. Un autre coupable était désigné : c’était Paul Hugon. M. Bûcher « cuisinait » habilement les trois indigènes qui finalement, devant la précision des faits et se voyant définitivement pincés, finissaient par dire — Eh bien puisque tu sais tout, nous allons tout te raconter. Alors les détails affluent, précisant et corroborant les renseignements fournis par le dénonciateur. L’assassinat de M. Guichard, à qui on savait d’importantes économies, fut décidé entre les indigènes ; mais, redoutant la force de M. Guichard, ils mirent Paul Hugon dans le secret et lui proposèrent de les aider dans le meurtre, car Hugon jouissait auprès des indigènes de la réputation d’un homme sachant tout faire et habilement. Paul Hugon aurait accepté et c’est lui qui aurait frappé la victime d’un coup de hachette mortel. Informé des aveux des indigènes, M. Parroche juge d’instruction, arrivait à Tablat dimanche soir et faisait procéder aussitôt à l’arrestation de Paul Hugon. Ce dernier était en train de faire des fagots quand les gendarmes se présentèrent. —Pourquoi m’arrêtez-vous ? C’est X.… qui a fait le coup, dit-il. Et il nomma un habitant de Tablat. M. Parroche a recueilli aujourd’hui les dépositions des indigènes. Il entendra ensuite Paul Hugon et procédera mercredi à la reconstitution de la scène du crime. Paul Hugon est un solide gaillard, à la barbe blanche, âgé de cinquante-sept ans, ancien conducteur de la diligence de Tablat à l’Arba, il n’avait aucun métier spécial ; mais il les exerçait tous, car il est très habile de ses mains et rendait de nombreux services aux habitants de Tablat où les métiers courants ne sont pas exercés. Détail curieux et macabre. Paul Hugon était également fossoyeur et c’est lui qui exhuma le cadavre de M. Guichard pour l’autopsie.
P. R.-L. 16 Janvier 1907 La Dépêche algérienne